Biennale d’Architecture d’Orléans #1
« Que signifie organiser une biennale d’architecture aujourd’hui ? Que signifie une exposition ?
La conscience qu’une biennale, ou une exposition, n’est jamais de maintenant. Ce n’est surtout pas une liste. Encore moins une démonstration.
A vrai dire, une exposition d’œuvres d’architectes et d’artistes, pas plus que les œuvres elles-mêmes, n’a rien à dire. C’est peut-être :
Un espace de nostalgie.
Un lieu pour les regrets.
Un polyptique des absences.
Un vide pour que la déambulation du regardeur y trace les nouveaux récits de l’histoire de l’art.
Un lieu pour y déposer nos doutes.
Une biennale est un espace pour douter. »
La Biennale d’Architecture d’Orléans est une « biennale de collection », construite comme une rencontre des mémoires : celles des œuvres de la collection, et celles des architectes et artistes invités. Il s’agit de les questionner sur leur manière d’aller marcher dans nos rêves et nos peurs pour revenir et conter notre histoire. Les œuvres produites par les cinquante-trois architectes et artistes invités sont, parfois des dialogues avec l’histoire, d’autres fois des tensions avec le présent. Le futur est la part du rêve, celui que nous devons partager, celui que nous devons traverser.
Patrick Bouchain est notre invité d’honneur. Avec lui, nous avons fait acte d’exposition comme nous faisons acte d’architecture. L’œuvre initiale de la Biennale est le bâtiment du Frac – les Turbulences – que nous avons retourné, sublimé, pour le vivre autrement. Faire une exposition d’architecture c’est aussi, et surtout, expérimenter le lieu même où nous nous trouvons. Comme un dernier geste, avant le prochain, Patrick Bouchain revisite le hall des Turbulences pour en faire un Haut-lieu de l’hospitalité. Il est le territoire qui accueillera toute l’hospitalité du monde et la demeure de la 36 001e commune de France, fondée par le PEROU.
Le parcours de la Biennale se déploie à travers la métropole orléanaise mais également dans toute la région. Le « réel » – l’urbanisme, les rues, les murs, les bruits, les odeurs – devient ainsi partie prenante de la narration globale. Ainsi, en est-il de la scène architecturale expérimentale espagnole, des années 1960 et de la jeune génération actuelle, à l’honneur rue Jeanne-d’Arc à Orléans. Vingt-deux drapeaux conçus pour l’occasion sont installés à l’endroit où la ville célèbre par une tradition du pavoisement ses fêtes populaires – les fêtes de la Loire et les fêtes de Jeanne d’Arc. Par cet acte, la Biennale prend place non pas dans un espace public mais dans sa tradition, son usage.
Aux Tanneries – Centre d’art contemporain d’Amilly, la première grande monographie consacrée à Guy Rottier active de nouveau l’absurde, la radicalité, la transgression, mais aussi une « tendresse subversive » comme moteur de l’innovation en architecture et en urbanisme. La Biennale est aussi l’endroit où discuter de la mémoire des territoires absents de la collection. C’est le cas d’un dialogue que nous engageons avec l’œuvre de Demas Nwoko, et de la conférence qui lui est consacrée. On l’aura compris, la Biennale traverse les territoires, de la région et de la ville, tout en traversant les rêves des architectes et des artistes. La Biennale d’Architecture d’Orléans est sous-tendue par l’espoir que le visiteur soit traduit lui-même en œuvres lorsqu’il passera dans les différents espaces et lieux investis par cet événement.
Abdelkader Damani & Luca Galofaro
Les artistes et architectes
2A+P/A
Gianfranco Bombaci et Matteo Costanzo (Italie, 1975 et 1973)
Agence créée à Rome en 2008, 2A+P/A a engagé dès ses débuts une démarche d’investigation des modèles historiques. Les fondateurs, Gianfranco Bombaci et Matteo Costanzo, alors étudiants, collaborent pour la première fois en 1998 dans le cadre du magazine 2A+P, marqué à la fois par les nouvelles technologies et l’architecture radicale italienne.
Pour la Biennale, l’agence interprète un dessin de l’architecte Ettore Sottsass, Architettura Monumentale (2003) dont la vue axonométrique présente un volume noir mystérieux, percé de quelques ouvertures colorées et dont la base s’aligne à un dallage qui, paradoxalement, se poursuit jusque dans les espaces du rez-dechaussée. 2A+P/A s’intéresse particulièrement à cette porosité existant entre sphères privée et publique. Le nouveau récit qui en est proposé émane tout autant d’une traduction subjective de l’image originale que de la collaboration imaginaire que l’agence décide d’inventer avec le célèbre architecte. En résulte une structure tridimensionnelle imposante noire, de plan carré de 5,5 m de côté sur 5,5 m de hauteur. En quête d’un écart subtil entre le dessin, le modèle et sa transposition physique, l’agence imagine de possibles destins à ce qui n’est que supposé dans le projet de Sottsass : espace domestique ou bien, ici, cabinet de curiosités intentionnellement déplacé dans l’espace public. Le pavillon se propose en effet de remobiliser cette forme traditionnelle en inventant un cabinet d’architecture dont les artificilia, objets créés par l’Homme, seront des reproductions de dessins d’architectes importants dans l’univers de 2A+P/A.
Architecture Principe
Claude Parent et Paul Virilio (France, 1923-2016 et France, 1932)
Claude Parent et Paul Virilio fondent le groupe Architecture Principe en 1963. La fonction oblique sera le fil conducteur des neuf numéros de la revue Architecture Principe, qui paraîtront de février à décembre 1966.
Ils mettront un terme à leur collaboration après les événements de Mai 1968. Claude Parent a reçu le Grand Prix national de l’architecture en 1979 et fut membre de l’Académie des beaux-arts de 2005 à sa disparition.
En 2009, une exposition monographique à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine fut consacrée à cette figure-phare de l’histoire de l’architecture du XXe siècle. Auteur de nombreux essais sur la vitesse et la technologie, Paul Virilio dirige la collection Espace critique (Ed. Galilée) et collabore régulièrement à de nombreuses publications. Il a été professeur et directeur de l’Ecole Spéciale d’Architecture et a reçu le Grand Prix national de la Critique d’Architecture en 1987.
Conçus et réalisés pour le Domaine du Muy, parc de sculptures contemporaines, en 2010, Les îlots prolongent les recherches menées pendant plus de 50 ans par l’architecte sur le basculement de l’espace moderne à l’oblique. Les plans inclinés, les formes irrégulières et discontinues sont remarquablement combinées dans cette oeuvre praticable composée de bases en acier et d’assises en aluminium, à la fois mobilier de design et sculpture. Évoquant la fracture géologique, ces monolithes établissent un nouveau rapport au plan fondé sur l’instabilité et le déséquilibre. Ancrées dans le paysage à la façon d’espaces insulaires, les sculptures invitent le spectateur à s’y reposer un instant et à ralentir le flux de la ville. L’oblique modifie alors la perception de l’usager sur son environnement quotidien : ce nouveau point de vue conduit à expérimenter par le corps un nouvel état de réceptivité, de participation et d’adhésion à l’espace urbain.
amid.cero9
Cristina Díaz Moreno et Efrén García Grinda (Espagne, 1971 et 1966)
Depuis 2003, l ’agence amid.cero9 développe un travail situé à la croisée du design et des biotechnologies. Elle fait appel à des logiciels de simulation numérique afin de réfléchir à une nouvelle forme d’architecture pop.
Nocturnalia est une ville imaginée par amid.cero9 à l ’occasion d’un premier projet réalisé à l’espace CAMPO (Rome) en 2015. Le collectif a décidé de réinterpréter ce projet sous forme de drapeau, en réalisant un plan abstrait de cette ville imaginaire. Nocturnalia est une cité où le repos se traduit comme la dernière forme de résistance, de liberté, d’existence collective. La productivité et la connectivité régissent la vie privée des habitants et menacent de contaminer la vie collective. La mondialisation et l’uniformité qui en découlent ont fait disparaître les foyers, les maisons et les espaces domestiques. Chaque nuit, les habitants se promènent dans la ville pour se retrouver au baptistère et dormir ensemble. Dormir en public n’est plus un symptôme de pauvreté, de maladie, d’exclusion sociale, mais un rituel collectif, le seul qui subsiste et qui témoigne de la vie véritable. Le temps de sommeil est la dernière temporalité qui échappe à une exploitation globalisée et respecte encore notre rythme biologique. Ce repos ultime s’oppose à la frénésie des marchés et de l’informatique et s’impose comme une nécessité vitale.
Archizoom Associati
Andrea Branzi (Italie, 1938), Gilberto Corretti (Italie, 1941), Paolo Deganello (Italie, 1940), Massimo Morozzi (Italie, 1941), à partir de 1968 : Dario et Lucia Bartolini (Italie, 1943 et 1944)
La série de dessins des Structures en liquéfaction peut se lire comme une réflexion critique sur l’espace et les objets qui nous entourent. Décomposées comme sous l’effet de l’apesanteur, les Structures en liquéfaction questionnent la pertinence d’un monde saturé d’objets et détermine un nouveau rapport à l’espace, émancipé de tout repère géométrique.
Ce projet radical constitue un tournant essentiel dans la recherche d’Archizoom : si l’utilisation de couleurs vives et le séquençage dynamique des dessins (type « story-board ») soulignent encore l’influence de l’esthétique pop et d’Archigram, le concept même de liquéfaction annonce la notion d’architecture disséminée que le groupe et Andréa Branzi développeront dès 1969 avec No-Stop City. Modèle d’urbanisation globale, No-Stop City met en effet en oeuvre l’idée de la disparition de l’architecture à l’intérieur de la métropole. Cette « ville sans fin » présente la même organisation qu’une usine ou un supermarché. Les espaces intérieurs, pensés comme une sorte de parking aménagé de meubles habitables, sont éclairés artificiellement, climatisés, et permettent à l’individu de réaliser lui-même son habitat à travers de nouvelles formes d’association et de communauté. Analyse radicale du projet d’architecture et de design, No-Stop City offre ainsi le modèle d’une ville immatérielle, vouée au seul flux continu des informations, des réseaux technologiques, des marchés et des services, consommant la disparition de l’architecture dans un pur urbanisme débarrassé de toute valeur symbolique.
Fondé à Florence en 1966 et dissout en 1974, le groupe Archizoom se composait d’Andrea Branzi, de Gilberto Corretti, de Paolo Deganello, de Massimo Morozzi et, à partir de 1968, de Dario et Lucia Bartolini. Archizoom produit de nombreux textes critiques et participe aux expositions Superarchitettura (1966), les XIVe et XVe Triennales de Milan (1968 et 1973) et l’exposition Italy : the New Domestic Landscape, organisée par Emilio Ambasz au MoMA à New York (1972).
Les membres d’Archizoom furent, en 1974, parmi les fondateurs de Global Tools, contre-école d’architecture et de design qui défendait le libre développement de la créativité individuelle. Les archives du groupe sont conservées aujourd’hui au Centro Studi e Archivio della Communicazione Università degli Studi di Parma, au Centre Georges Pompidou à Paris, et au FRAC Centre-Val de Loire à Orléans.
Aristide Antonas
(Grèce, 1963)
Architecte, docteur en philosophie, auteur de six ouvrages de fiction et de deux pièces de théâtre, Aristide Antonas conçoit, au sein de son agence, de nombreux projets de logements privés.
À la collégiale Saint-Pierre-le-Puellier, il propose deux « planchers volants » qui expriment ici le rêve mélancolique d’une vie domestique autonome, totalement prise dans une réalité interconnectée. Dans The Narrative of the Flying Floor [Le récit des sols volants], l’architecte réduit l’habitat à quelques signes – paroi, plancher, ouverture – ramenant les deux structures à une cellule type, mais dépourvue de mur. Plaçant l’habitant dans une intimité paradoxale, puisque son image se dissout dans la sphère publique, l’espace domestique ne s’envisage plus comme une demeure ou un refuge, mais comme un lieu transparent, destiné à un être interconnecté en permanence et devenu public. Bien qu’arraché du sol, l’habitat, qui invite à se retirer temporairement du monde, est désormais poreux. L’approche narrative d’Aristide Antonas ouvre à des récits questionnant le devenir de l’identité. L’installation joue de la métaphore pour questionner la fonction de l’habitat aujourd’hui.
Jordi Bernadó
Jordi Bernadó, Hic Sunt Leones, 2013 (Espagne, 1966)
Hic Sunt Leones [Ici les lions] est une réflexion poétique et originale sur le thème de la conception de prisons. Cette fiction présente le Centre pénitentiaire Mas d’Enric, conçu par les cabinets AiB arquitectes et Estudi PSP Arquitectura et construit à Tarragone (Catalogne, Espagne).
Les récits habituellement caractéristiques de la communication architecturale s’y trouvent totalement renversés. Ce court-métrage s’intéresse principalement au concept qui est à la base du design, et explore l’intime et subtile sensation d’isolement liée à certaines des expériences les plus intenses de la vie humaine, telles que le péché et l’emprisonnement.
Ce film a été produit dans le cadre de l’ouvrage intitulé Critical Prison Design, publié en 2014 chez Actar et écrit par Roger Paez, architecte principal au sein d’AiB arquitectes.
Symposiums
Palestine Terre des rêves, un état rêvé
La production architecturale à la lumière du rêve d’un état/nation
Le colloque se concentre principalement sur les états changeants du rêve et de ses répercussions sur la scène (architecturale). L’ensemble du thème explore l’architecture et l’environnement bâti en Palestine comme moyen de compréhension du rêve palestinien et son lien au monde arabe global compris dans son ensemble et des transformations que ce dernier subit en ce moment.
Intervenants : Mr Dr. Yasser Elsheshtawy, Mme Arch. Nadia Habash, Mr Dr. Arch. Shadi Ghadban, Mr Dr. Abaher El Sakka
Coordination scientifique : Mme Dr. Shaden Awad, Mme Arch. Dima Yaser, Mr Dr. Yasid Al Rifai
News from utopia : cartographie de la recherche en architecture
Le symposium « cartographie de la recherche en architecture » réunit les écoles d’architecture à travers le monde pour poser les fondements d’un programme de recherche en architecture expérimentale que le Frac Centre-Val de Loire inaugurera à l’occasion de cette première édition.
Coordination scientifique : Luca Galofaro et Abdelkader Damani
Écoles invitées : Southern California Institute of Architecture, Los Angeles, USA / Università di Camerino, SAAD Ascoli Piceno, Italie / Architectural Theory, University of Innsbruck, Autriche / Institute for Advanced architecture of Catalonia, Barcelone, Espagne / Cooper Union, school of architecture, NYC, USA / Arquitectura en la Universidad Nacional de La Matanza, Buenos Aires, Argentine / Ecole nationale supérieure d’architecture de Nantes, France
Est-il encore possible d’être un étranger ?
L’objet de cette journée veut contribuer à explorer les vertus de l’étrangéité, dans quelque situation que ce soit. Quel étranger peut-on vouloir devenir ?
Coordination scientifique : Abdelkader Damani et Christian Ruby
Fatalité de la culture, limites de la contre-culture. Autour de Patrick Bouchain.
Fatalité de la culture et limites de la contre-culture : le travail et la trajectoire de Patrick Bouchain dessinent un terrain idéal pour réfléchir au cours de deux journées sur la fécondité et les apories de ce drôle de couple avec en toile de fond la collection du Frac Centre-Val de Loire, qui depuis plus de vingt ans façonne bien des imaginaires.
Grand Témoin : Patrick Bouchain
Coordination scientifique : Jean-Louis Violeau
Intervenants : Loïc Blondiaux, Xavier Fouquet, Anne Debarre, Michel Bertreux, Aurélien Bellanger, Julien Perraud, Catherine Dohmen, Gilles Delalex, Hubert Tonka, Encore Heureux