Le projet de Daniel Buren répond à la commande publique pour l'aménagement de la Cour d'Honneur du Palais-Royal à Paris lancée par le Ministère de la Culture en 1983 sous l’impulsion du Président de la République François Mitterrand. Il repose sur deux principes fondamentaux, ainsi que le précise l'artiste : « Le premier consiste à ne pas ériger de sculpture au milieu de cette Cour d'Honneur comme la tradition le voudrait, mais de révéler le sous-sol. Le second vise à inscrire le projet dans la composition architecturale du Palais-Royal qui est essentiellement linéaire, répétitive et tramée. De la conjonction de ces deux principes, c'est-à-dire de tous les possibles de l'un et de l'autre, sans jamais toutefois qu'ils ne se contredisent ni ne s'annulent, émerge l'œuvre monumentale projetée ». L'aménagement de la Cour est réglé selon plusieurs axes : la distribution des colonnes de la galerie d'Orléans détermine le traçage au sol ; la circonférence et l'entraxe des colonnes du Palais-Royal décident de la hauteur et de l'espacement des cylindres ; la répétition des bandes et des 260 cylindres établit une unité et une structuration de ce vaste ensemble par des correspondances rythmiques ; l'ouverture de la Cour vers les jardins, celle-ci étant dominée par des colonnades sur trois côtés seulement ; la volonté de placer le promeneur dans une position intermédiaire entre deux plateaux, promettant de la sorte une lecture plurielle du lieu ; enfin, l'investissement total des 3000 m² de la Cour. Espace participatif, intimant au spectateur de construire son propre point de vue, l'œuvre de Buren naît toujours du site et des êtres qui l'occupent. Appelé ici à s'asseoir, grimper, sauter ou se pencher, c'est-à-dire à faire varier l'incidence de son regard comme le montrent les dessins de l'artiste, le promeneur expérimente le lieu dans une perspective sans cesse renouvelée. Le visiteur devient « statue vivante », décrypteur d'un espace lisible, non seulement verticalement à 319 cm au-dessus de sa tête, jusqu'à 319 cm sous ses pieds, mais également horizontalement et obliquement. S'entrecroisant sans arrêt pour favoriser la circulation des regards (en haut, dessous, là-bas, derrière), ils perturbent toute définition rigide et univoque des termes puisque le sol réel devient aussi plafond des cylindres qui s'enfoncent dans les tranchées.
Nadine Labedade